vendredi 29 décembre 2017

Bonnie and Clyde sur la 6 (3)



Eté 2015. Un soir peu avant 20h. Je suis sur le quai à Corvisart. Il commence à pleuvoir. Une pluie fine. Mon regard se tourne vers les voies. Là-bas, je vois deux silhouettes sortir de la bifurque qui s'engouffre sous la place d'Italie. D'un pas pressé, les deux personnes remontent les voies en direction de Corvisart. J'ai peu de doute sur ce qu'elles viennent de faire dans la bifurque où une rame dort depuis quelque temps. Les deux silhouettes se rapprochent. Là, j'hallucine quand je vois que la personne qui marche en tête porte une jupe et des baskets. Derrière la meuf, le mec en mène pas large. Alors qu'elle marche à vive allure, les cheveux au vent, sac sur le dos, le mec suit, la tête vissée sous sa capuche d'anorak.




Partis comme ça, je me dis qu'ils vont monter sur le quai de la station et regagner au culot la sortie tel l'usager lambda, mais non, quelques mètres avant le quai, la fille se tourne de trois quart, et avec la rapidité et l'agilité d'un chat, escalade le mur et se hisse de l'autre côté en enjambant sans difficulté les pics de la clôture qui fait au bas mot 3 mètres de haut. Le mec, qui lui, ne porte pas de sac, se lance dans le même exercice, avec beaucoup moins d'assurance. On sent qu'il est pas au niveau, il galère de ouf, il est même à deux doigts de finir un pic planté dans le ventre. Finalement, il réussit au prix d'un effort surhumain à se hisser de l'autre côté.




Sur ce, le métro arrive, je monte dedans. Fenêtres ouvertes, la rame s'engouffre sous le tunnel qui mène à Place d'Italie. Instantanément, une odeur de bombe de peinture envahit le wagon. A ce moment-là, j'imagine la bonne décharge de vapeurs de bombes qu'ils ont dû manger lorsqu'ils ont fait leur panel collés  au mur...





Je n'ai jamais pu voir les pièces peintes dans cette bifurque ce jour-là, mais je me suis pris à imaginer ce couple : la fille dominatrice, chienne alpha, aventurière, Lara Croft du bitume ; le mec soumis, en admiration totale devant elle, prêt à la suivre partout, prêt à braquer une banque s'il le faut. Je me mets à délirer, à jouer avec cette idée d'une inversion des rôles féminins et masculins. Je fais d'elle une Bonnie survitaminée et de lui un Clyde tout keuss. Ce couple a à son actif une trentaine de métros graffés : c'est elle qui engraine, c'est elle qui fixe les objectifs. Elle dit : "ce soir chéri, on fait le dépôt de la 7", le mec il opine du chef. L'autre fois, ils se sont fait coursés, elle a réussi à semer les shtars, il s'est fait serré comme un bleu. Au poste, il a failli craquer, mais il a su tenir sa langue de peur de la perdre...








Trêve de plaisanterie, les filles ont toujours fait partie du graffiti. Il y a celles à qui ont été dédicacés des milliers de graff. On se souvient que dans les terrains parisiens des années 1980/1990, de nombreux graffeurs avaient peint le nom de leur copine : Roxiz (Jonone), Madly (Kongo), Vanessa (Psy)... Il y aussi les pionnières : Miss Van, Lady Fancie, Ema, Lady K et d'autres qui se sont hissées au niveau de leurs pairs et n'ont pas grand chose à prouver pour ce qui est du style. Sans parler des couples comme Utah et Ether qui en ont mis partout aux US. Comme quoi Marc-Aurèle Vecchione, l'auteur du film Star (2016) a bien senti l'air du temps en mettant en scène une histoire d'amour entre un tagueur parisien (Star) et une tagueuse romaine (Figa). 

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