Dans le milieu du graffiti, tout se sait très vite, encore plus depuis qu'y a les réseaux sociaux. Un graffeur repère une faille dans un dépôt ou dans un lay-up, il y retourne avec un binôme le temps de rentrer deux, trois panels, le lendemain c'est posté sur Facebook ou Instagram, les plus malins comprennent que le buff fait pas son travail ou que les moyens qui lui sont alloués sont pas suffisants pour suivre la cadence, le bouche à oreille fait le reste. Une semaine après avoir shooté le Ramzes (voir le post précédent), une dizaine de panels circulaient en même temps sur la 6.
Ca m'a
rappelé décembre 2007: à l'époque, les rames de la 3 avaient été
martyrisées. Une rame sur deux était graffée. Il était devenu tellement
facile de taper la 3 que certains étaient allés jusqu'à comparer cette
ligne à une "traînée". L'interview n'est plus en ligne, mais je m'en
souviens très bien de cette phase : Gossip Graffiti avait demandé à
Rap2122 quelle était sa ligne de métro préférée et celui-ci lui avait
répondu un truc dans le genre "toutes sauf la 3 parce que c'est une
traînée. Tout le monde lui est passé dessus". Pour moi, c'est ce qui
fait aussi le charme du graffiti : cette poésie violente qui se marie si
bien avec la crasse urbaine. Je sais pas si Rap est le premier à avoir
comparé une ligne de métro au corps d'une fille facile, mais d'autres
avant lui ont féminisé les trains. Dans le numéro 2 d'1TOX (février-mars 1992), on peut lire dans les pages Echograff un message signé MTA : "Une rame, c'est vivant, ça a des flancs, une tête, des "yeuz" et respire comme une bouznie... Nous, on peint sur son corps !".
On peut même remonter plus loin à 1987 si on prend en compte la double signification du crew TVA : The Vandal Art / The Vaginal Art. Keag et Sore ont poussé
cette logique à l'extrême dans Pimp my bitch (wasted talent, 2010). Les
deux graffeurs se font photographier jetant des pots de peintures sur
des filles à moitié nue posant sur les voies devant des métros à
l'arrêt. On peut pousser la métaphore plus loin : les graffeurs videraient leurs bombes
sur les parois des trains comme ils videraient leurs couilles sur le
corps des femmes. Vices dans un autre genre recouvrait les métros de
bites. D'une certaine manière, on peut aussi dire que le geste du
remplissage des lettres d'un graffiti s'apparente à la masturbation. Un
jour ma copine m'avait fait la remarque en regardant des potes
remplir des throw ups sur un rooftop à New York : "on dirait des gamins
en train d'éjaculer sur un mur".
Au passage, Ça vaudrait le coup de voir
si les New yorkais ont comparé les Subway cars à des "sluts" ou si pour
nous Parisiens, il s'agit d'un héritage de notre culture latine
machiste, mais ça pourrait bien être un ancrage aussi profond
remontant aux temps des Barbares, des Francs, des Vikings, des Sarrasins
et autres Vandales, allez savoir... Pour les New Yorkais, faire des graffiti c'est dégueuler (throw up), ils auraient pu aussi
appeler ça le jerk-off. Dans cette logique, le graffiti serait un acte purement sadique. Bien sûr il y a
l'idée d'en mettre plein la vue à ses pairs, mais Il y a surtout l'idée
de tout nicker, défoncer, massacrer, détruire, dégrader, saccager. Il s'agit
d'infliger des dégâts à la ville, à la société, à la collectivité. Et
que la collectivité trouve à y redire, on s'en fout. Au contraire, y a
rien de plus jouissif, de plus bandant que de savoir que Mr. Tout le
monde est choqué parce qu'on a tagué sur sa porte. Comme disait Bando
dans Writers, le graffiti c'est fait pour dire "tiens connard t'es pas
content..."
Ces réflexions me sont venues en pleine affaire
Weinstein : je me suis demandé quel impact cette affaire pouvait avoir sur le graffiti, cette discipline purement misogyne -dans le sens
où elle est exclusivement pratiquée par des mecs, à de très rares
exceptions près, et dans le sens où c'est un concours permanent pour
savoir qui pisse le plus loin. La réponse dans le prochain poste sur la 6, "cette petite gourmande"...
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